A quoi ressemblera la viticulture de demain ? Nous avons interrogé les chercheurs de la SICAREX Beaujolais, de l’IFV et de la Chambre d’agriculture du Rhône. Une prospective basée sur leurs travaux de recherches et précieuses connaissances.
Haut lieu de la recherche vitivinicole, le Beaujolais compte une quinzaine de chercheurs dédiés à des travaux sur la vigne et le vin. Par exemple ? Etudes du matériel végétal, création variétale, calcul d’empreinte carbone, expérimentations agronomiques mais aussi étude des attentes des consommateurs et des professionnels… Quatre experts, basés en Beaujolais, nous partagent le fruit de leurs recherches et leur vision de la viticulture de demain.
Demain, une viticulture à la fois résiliente et propre
«La viticulture de demain doit être en capacité d’être résiliente face aux évolutions climatiques et aux aléas qu’elles occasionnent. Nous avons utilisé des béquilles qui de fait sont de moins en moins acceptées. À l’avenir, il faudra être en capacité de faire sans, autrement dit de produire plus propre ».
Bertrand Chatelet, Directeur de la SICAREX Beaujolais et du pôle Beaujolais-Bourgogne-Jura-Savoie de l’IFV
Demain, un vignoble intégrant des variétés résistantes
«Depuis quelques années, nous creusons la piste d’intégrer d’autres cépages, afin de pallier les difficultés occasionnées par le réchauffement climatique. L’idée est de trouver des variétés résistantes aux maladies et aux nouvelles conditions climatiques qui conservent des qualités organoleptiques. Si je pense qu’elles vont se développer, elles ne pourront en réalité pas constituer la majorité du vignoble dans un futur proche. Les cahiers des charges des appellations, parties intégrantes du patrimoine, sont basés sur des cépages historiques et ils vont être adaptés très progressivement ».
Taran Limousin, ingénieur matériel végétal, Pôle Beaujolais-Savoie de l’IFV
Taran Limousin, ingénieur matériel végétal, Pôle Beaujolais-Savoie de l’IFV
«Le vignoble français a une force extraordinaire du fait d’être un vignoble d’appellations. La viticulture de demain va continuer à s’appuyer sur elles. En Beaujolais, Il va donc falloir trouver des solutions pour continuer à cultiver le gamay. Même si on l’associe à d’autres variétés minoritaires, le gamay a de beaux jours devant lui ! »
Bertrand Chatelet, Directeur de la SICAREX Beaujolais et du pôle Beaujolais-Bourgogne-Jura-Savoie de l’IFV
«Connaître la composition des sols, fertiliser grâce à la matière organique, gérer les couverts végétaux pour lutter contre la sécheresse… la question du sol est plus que centrale aujourd’hui. Elleva d’après moi revenir au goût du jour. Le Beaujolais a mené un formidable travail de recherche sur les sols pendant des années. Il permet aujourd’hui une connaissance fine des terroirs. Le fruit de cette cartographie des sols a permis de vraies avancées, qui emmènent d’ailleurs le Beaujolais vers une montée en gamme ».
Thibault Laugaa, responsable de l’équipe viticulture à la chambre d’agriculture du Rhône. Il chapeaute une équipe d’une dizaine de conseillers qui sillonnent le Beaujolais et accompagnent ses viticulteurs
Demain, des consommateurs avertis
«Vin bio, biodynamique, nature, sans sulfite ajouté… nous voyons qu’il y une grande incompréhension dans l’esprit des consommateurs. Nos études nous ramènent très souvent à la communication et à la complexité du langage et des informations communiquées. Les consommateurs d’aujourd’hui (et de demain) sont en demande de transparence sur ce qu’ils boivent. Par ailleurs, ils semblent souhaiter des vins moins transformés ».
Carole Honore-Chedozeau, œnologue et chercheuse, Pôle Sensoriel IFV-SICAREX Beaujolais
Réchauffement climatique, évolution des pratiques et des attentes des consommateurs… la viticulture traverse d’ores et déjà de nombreux challenges. Grâce à leur travail, les chercheurs esquissent des réponses aux questions que se posent les professionnels de la filière. La viticulture de demain s’invente dès aujourd’hui en s’appuyant sur la recherche. Le Beaujolais prend sa part dans ce défi grâce aux travaux des équipes d’Inter Beaujolais, de la SICAREX Beaujolais, de l’IFV et de la Chambre d’agriculture du Rhône.
En Beaujolais, la fibre pour la recherche viticole ne date pas d’hier. Insufflée par l’ingénieur et homme d’affaire Victor Vermorel à la fin du XIXème siècle, elle œuvre aujourd’hui encore pour l’amélioration de la qualité des vins mais aussi des pratiques agronomiques. Pleine de challenges, la viticulture de demain s’invente dès aujourd’hui grâce aux travaux des chercheurs du Beaujolais. Présentation des métiers et des projets d’étude en cours dans le vignoble.
Le Beaujolais, territoire historiquement à la pointe de la recherche sur la vigne et le vin
Victor Vermorel – Archives Senat.fr
D’où vient la fibre beaujolaise pour la recherche viticole ?
Si la recherche sur la viticulture en Beaujolais avait un visage, ce serait celui de Victor Vermorel. Enfant des bords de Saône, le chercheur a fait avancer la connaissance sur la viticulture tout au long de sa vie. Visionnaire, celui qui prônait « le progrès par l’expérience » a fait du Beaujolais un haut lieu de la recherche vitivinicole.
Victor Vermorel a marqué les vignerons de la fin du XIXème siècle grâce à ses multiples inventions. Il est notamment, avec Pierre Viala, l’auteur de l’ouvrage historique « L’Ampélographie. Traité général de viticulture ». Paru en 1900, celui-ci documente et illustre les 5 200 cépages répertoriés dans le monde et est encore aujourd’hui une référence.
L’Ampélographie. Traité général de viticulture, Victor Vermorel et Pierre Viala, 1900
Illustration du cépage gamay, L’Ampélographie. Traité général de viticulture, Victor Vermorel et Pierre Viala, 1900
Illustration du cépage chardonnay, L’Ampélographie. Traité général de viticulture, Victor Vermorel et Pierre Viala, 1900
Entre 1888 et 1897, Victor Vermorel a imaginé les lieux de recherche sur la vigne et le vin que nous connaissons aujourd’hui en Beaujolais. Il a créé la toute première station viticole au 210 boulevard Vermorel à Villefranche-sur-Saône. Cette adresse, où travaillent toujours les chercheurs, était initialement composée de laboratoires, d’une impressionnante bibliothèque mais aussi d’une mini-cuverie… L’entrepreneur a également fait du Château de l’Eclair, à Liergues, un domaine viticole expérimental. A l’époque, ces lieux suscitent la curiosité et des chercheurs du monde entier viennent les visiter.
Des structures de recherche interconnectées en Beaujolais
Vous l’aurez compris, l’héritage de Victor Vermorel a donné sa forme actuelle à la recherche en Beaujolais. Son originalité ? Plusieurs organisations interconnectées qui travaillent main dans la main. Inter Beaujolais (organisation chargée du développement de la filière viticole) compte la recherche et l’expérimentation parmi ses missions. Celles-ci sont assurées par la SICAREX Beaujolais (Société d’Intérêt Collectif Agricole de Recherches et d’EXpérimentations) notamment grâce à un domaine viticole expérimental de 20 hectares. Le centre de recherche travaille en étroite collaboration avec le Pôle Bourgogne Beaujolais Jura Savoie de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV). Implanté en 18 unités dans les régions viticoles françaises, ce dernier compte une équipe de 9 chercheurs dans le Beaujolais. Ces trois organisations sont toutes situées à la même adresse, surnommée le « 210 en Beaujolais » à Villefranche-sur-Saône.
La SICAREX Beaujolais et l’IFV réalisent nombre de leurs expérimentations sur la vigne et le vin au Château de l’Eclair. Ledomaine, autrefois investi par Victor Vermorel, est aujourd’hui surnommé le « laboratoire à ciel ouvert du Beaujolais ». Bien que basées dans le Rhône, les équipes de la SICAREX Beaujolais et de l’IFV travaillent sur des projets à l’échelle locale, nationale et internationale. Les travaux de recherche ne se cantonnent pas aux enjeux régionaux. Ils concernent bien souvent le vignoble français dans son ensemble.
Sur le terrain, la chambre d’agriculture du Rhône se charge de transmettre aux vignerons, domaines et caves du Beaujolais les résultats de la recherche. Cela passe notamment par la formation, l’organisation de rencontres techniques ou encore l’animation de groupes de vignerons (Vigneron·ne·s du Vivant en Beaujolais par exemple).
Bouteilles consignées, exemple d’un sujet de recherche transverse
En Beaujolais, la recherche implique bien souvent à la fois la SICAREX Beaujolais, l’IFV, lnter Beaujolais et le Château de l’Eclair. C’est le cas par exemple pour une expérimentation sur le réemploi des bouteilles entamée en 2023.
Le saviez-vous ? Les calculs de l’IFV ont démontré que le conditionnement représente 40 % à 50 % de l’empreinte carbone globale de la filière. Pour réduire cet impact majeur il faut soit opter pour des bouteilles plus légères soit adopter un système de consigne.
Afin de fournir des données et un retour d’expérience, des recherches sont menées en Beaujolais à tous les niveaux. Le Pôle sensoriel de la SICAREX Beaujolais étudie l’image de la consigne auprès des acteurs de la filière. En parallèle, Inter Beaujolais établit un observatoire de la qualité des vins et du poids des bouteilles. Et enfin, le Château de l’Eclair commercialise une cuvée test de Beaujolais Nouveaux consignés. Les premiers retours d’expérience sont disponibles dans un livre blanc édité en fin d’année.
La recherche en Beaujolais aujourd’hui : projets et innovations
Empreinte carbone, adaptation au réchauffement climatique, cépages résistants, attentes des consommateurs… les grands axes de recherche en Beaujolais
L’enjeu du siècle pour la viticulture va être de s’adapter à la nouvelle donne dictée par le réchauffement climatique. Ainsi, les travaux de recherche en Beaujolais visent avant tout à orienter les acteurs de la filière dans ce contexte. Cela peut être par la mesure d’empreinte carbone, des expérimentations agronomiques, l’exploration du matériel végétal ou encore l’étude des goûts des consommateurs…
« Notre métier est de répondre aux questions que se posent les professionnels. Elles sont le reflet des attentes sociétales et des besoins du secteur ».
Basé en Beaujolais, le Pôle Évaluation Environnementale de l’IFV étudie l’impact de la filière avec pour objectif de trouver des moyens de l’atténuer. Ce pôle s’applique à mesurer l’empreinte carbone des exploitations viticoles et met en perspective les données liées à chaque étape du cycle de vie du vin. Il réalise une veille constante et étudie de près les différentes pratiques pour orienter les professionnels cherchant à réduire l’empreinte carbone de leur entreprise.
Adapter les pratiques viticoles face au réchauffement climatique
L’adaptation au changement climatique est aussi un sujet de recherche pour le Pôle technique de l’IFV Beaujolais-Savoie. Des expérimentations agronomiques sont menées, dans le but de maintenir un rendement et une qualité de vin malgré le changement climatique. Le rôle de ces recherches est de proposer des solutions progressives et notamment des leviers d’actions à court terme (filets d’ombrage, modification du feuillage…) tout en gardant un oeil sur les solutions à plus long terme (cépages résistants notamment).
Les chercheurs de la SICAREX Beaujolais remplissent encore aujourd’hui l’une de ses missions historiques : la sélection et la préservation de la diversité génétique du gamay. Ils entretiennent un impressionnant conservatoire composé de plus de 1 000 gamay différents (originaires d’Italie, de Suisse, du Sud-Ouest…). Ce travail de préservation du végétal va encore plus loin avec le projet “Qanopee”. Porté par les vignobles du Beaujolais, de la Champagne et de la Bourgogne, il cherche à pré-multiplier des pieds de vignes sains dans une serre bioclimatique de 4 500m2. L’objectif ? Sécuriser le patrimoine végétal des vignobles.
La création variétale est un “fil rouge” pour la SICAREX Beaujolais d’après son directeur, Bertrand Chatelet. Dès les années 70, le centre de recherche rejoint un programme inédit de l’INRAE et devient une référence en la matière. Travail au long court, la sélection variétale s’appuie notamment sur l’observation et la comparaison des 180 variétés de raisins plantées sur une parcelle du Château de l’Eclair. La SICAREX Beaujolais a notamment créé le gaminot, croisement entre le gamay et le pinot noir. Aujourd’hui, les équipes concentrent leurs recherches sur des variétés à la fois tolérantes aux maladies cryptogamiques et à la sécheresse. Certains cépages résistants créés sont d’ores et déjà plantés en Beaujolais. Le gamaret ou le voltis pour ne citer qu’eux, pourraient d’ailleurs rentrer dans le cahier des charges des appellations.
Identifier les attentes des consommateurs de demain
Afin de produire des connaissances pour la science et l’ensemble de la filière, un pôle d’analyse sensorielle a vu le jour en 2023. Son équipe d’ingénieurs mène des projets de recherche qui intéressent bien au-delà du vignoble beaujolais et même français. Ils mettent au cœur de la recherche le jugement sensoriel des consommateurs notamment via des groupes focus et des dégustations. Débuté en 2020, l’un des projets phares du pôle concerne la perception des vins sans sulfites ajoutés. Les conclusions de cette étude, menée auprès d’un panel de consommateurs et de professionnels, sortiront fin 2024.
Zoom sur GES&Vit, le premier outil de calcul d’empreinte carbone viticole, né en Beaujolais
Le Pôle Évaluation environnementale a mis les bouchées doubles pour répondre au besoin pressant de mesure de l’empreinte carbone des acteurs de la viticulture. Il a été le premier à proposer dès 2021 le premier outil capable de le faire. Baptisé GES&Vit, celui-ci a pour ambition d’appuyer la filière vin dans sa transition bas carbone.
GES&Vit permet de poser un diagnostic sur les pratiques en place mais aussi de simuler différents modes de conduite de la vigne. Enfin, il donne les moyens d’agir grâce à un plan d’action visant à réduire l’empreinte carbone d’une exploitation viticole. Accessible sous réserve que l’on ait suivi une formation de prise en main, l’outil s’adresse à des conseillers et techniciens viticoles. De nombreux professionnels en France l’ont d’ores et déjà adopté.
Si Victor Vermorel a créé un terreau fertile pour la recherche viticole en Beaujolais, sa filière vin a su se structurer pour lui faire porter des fruits. C’est main dans la main que les équipes d’Inter Beaujolais, de la SICAREX Beaujolais, de l’IFV et de la Chambre d’agriculture du Rhône la font perdurer avec passion. Ancrés dans leur époque, leurs travaux de recherche sont des mines d’informations pour construire le vignoble de demain.
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